Aspects Éthiques
Pr Michel DEBOUT
extrait du rapport du 6.07.1993 Conseil Economique et Social
Il y a moins d’un siècle encore, l’essentiel des questions posées autour du suicide restait d’ordre moral ; héritage d’un débat qui a traversé les âges et qui questionne le sens de la vie, donc le sens de la mort et qui retrouve ainsi inévitablement la sphère du sacré, du religieux.
Bien entendu, la position morale appartient à chacun d’entre nous et toute appréhension philosophique, morale et religieuse du suicide est respectable dès lors qu’elle se fonde sur une réflexion en profondeur sur les valeurs humaines.
Il n’en reste pas moins que, soit par référence à Dieu, soit par référence à l’homme et à l’universel, les différentes positions sur le suicide ont constamment hésité, balancé, entre deux termes opposés : l’héroïsme et la lâcheté, l’altruisme et l’égoïsme, le suicide qui exprime de façon fulgurante la liberté individuelle et celui qui témoigne de façon dramatique de l’enfermement forcé de la personne dans sa propre fin. En fait, cette ambivalence nous renvoie à une ambivalence encore plus profonde, concernant toute mort, non pas seulement la mort que se donne le sujet mais celle qui ravira chacun d’entre nous à l’existence. Cette mort consubstantielle à la vie humaine, à l’histoire de l’homme – grande histoire de l’humanité ou petite histoire quotidienne – histoire qui, elle même, ne peut prendre sens qu’en s’inscrivant dans le temps, au prix de s’achever.
Ainsi la mort nous crée à la vie en nous l’ôtant un jour, elle pose donc radicalement le problème de la liberté de l’homme dans son histoire, étant entendu qu’il n’est pas « libre » de ne pas mourir !
Un espace, une exigence
Un espace qui se laisse interroger par la pensée des autres, positionnement à plusieurs voix toujours inachevé, où l’on reconnaîtra des styles et des approches différents.
Une invitation à débattre pour éviter que nos passions d’agir soient confondues avec nos valeurs morales.
Un espace pour :
- éclairer l’exercice d’une pratique d’accompagnement de prévention ou d’information;
- réagir et interroger le sens et les conditions de ces actions ou événements;
- sortir de l’isolement et du poids de la solitude face aux responsabilités à prendre, et partager questions et expériences;
- appréhender les limites que nous nous donnons et que nous devons donner;
L’exigence éthique – un garde fou- face aux risques de dérapages de l’intervention médico-social, sans écarter, toutefois, le caractères ambigu et menaçant de la surveillance et du contrôle social dont nous ne cessons d’expérimenter l’indésirable nécessité. Entre obligation morale d’intervention et le droit pour chacun de préserver sa vie privée
« Le suicidé fut longtemps considéré comme un criminel -crime contre lui-même – puis comme un aliéné. Il ne faut pas qu’aujourd’hui il soit simplement un oublié. »
La complexe définition de l’éthique
extraits de « L’éthique : une problématique européenne, Rapport d’information n° 67 (2013-2014) de MM. Simon SUTOUR et Jean-Louis LORRAIN, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 10 octobre 2013
Le terme d’« éthique » peut souvent donner lieu à des incompréhensions. Chacun, en fonction de sa position ou de son domaine de compétence, ne lui attribue pas le même contenu ni la même réalité.
Certains considèrent que l’éthique ne s’applique qu’aux problèmes suscités par le progrès scientifique, en particulier dans le domaine des sciences de la vie et de la santé, tandis que d’autres en ont une conception moins restrictive et estiment qu’elle intéresse tous les domaines de l’activité humaine et de la société. De même, pour certains, l’éthique constitue une démarche qui a vocation à trouver une traduction normative (sous forme de recommandations, de règles de bonnes pratiques, de mesures règlementaires ou législatives) alors que d’autres ne lui accordent qu’une dimension réflexive visant à interroger nos choix et nos décisions dans le but de les éclairer.
Il est donc indispensable, dans un premier temps, de poser quelques repères afin de mieux cerner ce que le terme d’« éthique » peut recouvrir – sans prétendre en épuiser ici la définition ou avoir la volonté de clore les débats, toujours féconds, qui entourent cette question. […]
Éléments d’une définition générale
Les racines de l’éthique sont philosophiques. Pour saisir la nature de cette notion, il est donc indispensable de faire appel aux concepts et à l’histoire de la philosophie.
Distinguer l’éthique de la morale
Pour appréhender le concept d’éthique, il est utile, en première approche, de faire retour sur l’alternative classique entre éthique et morale.
Étymologiquement, les deux notions sont voisines : ethos, racine grecque du mot « éthique », signifie les « mœurs », mores, racine latine du mot « morale », désigne de même les « mœurs » mais aussi les « coutumes », les « habitudes ».
Toutefois, en philosophie, une différence plus marquée est de mise. La morale est considérée comme un ensemble de règles établies, propres à une culture, à un système de valeurs, permettant de juger ce qui est « bien » et ce qui est « mal », auxquelles par conséquent il est recommandé de se conformer pour assurer – idéalement – une vie en société harmonieuse. L’éthique désigne quant à elle une forme de pensée qui se situe au-delà de la morale, une « méta-morale »*) en quelque sorte, raisonnant sur les fondements du bien et du mal, les valeurs et les jugements moraux. Elle est en outre une réflexion qui a pour finalité de rechercher les fondements raisonnables du « bien agir ». […]
La différence fondamentale de l’éthique par rapport à la morale se situe donc dans le fait que l’éthique est une réflexion : là où la morale édicte des règles absolues, l’éthique a pour vocation de les interroger, de les mettre à distance pour mieux faire naître des questionnements sur leur bien fondé, avec la volonté finale de faire émerger « ce qui est estimé bon ». Au caractère statique et impératif de la morale s’oppose la nature dynamique et réflexive de l’éthique.
Toutefois, il ne faut pas penser éthique et morale comme des contraires absolus. Ces deux notions sont davantage complémentaires qu’opposées. L’éthique en cherchant à déterminer « ce qui devrait être » possède, à l’instar de la morale, une dimension normative.
L’éthique, une démarche critique et interrogative
De ces prérequis philosophiques, il faut retenir que la démarche éthique, fondée sur la réflexion, procède par un questionnement renouvelé à la recherche permanente de la justification de nos actions ou décisions. Cette démarche interrogative permet de construire une analyse critique des enjeux pris en considération.
L’éthique s’applique en général à des situations qui soulèvent un questionnement moral et donnent lieu à des conflits de valeurs. Dans ce contexte, la dimension interrogative et critique de la démarche éthique repose en grande partie sur l’échange de points de vue, au travers de discussions, de débats. Le philosophe allemand Jürgen Habermas considère d’ailleurs la discussion comme « l’essence de l’éthique ».
Pour dégager le sens d’un projet et justifier les règles de l’action, il est nécessaire d’entendre les différentes opinions, fruits d’expériences variées, et émanant de divers domaines de la connaissance. Le débat peut ainsi donner lieu à l’expression d’avis divergents et contradictoires, faire évoluer les positions et contribuer à bâtir une analyse critique du sujet concerné. Au final, il est le moyen de tracer le chemin vers une entente et un assentiment de tous en vue d’une action commune.
Dans une perspective idéale, Habermas considère que la discussion devrait correspondre à une situation de liberté de parole absolue où chacun renonce aux comportements « stratégiques », c’est-à-dire en vue de son propre intérêt. » […]
L’éthique et le droit
Comme un prolongement de la distinction entre éthique et morale, la relation de l’éthique au droit met en jeu ce qui relève de l’approche réflexive par opposition à ce qui est figé et intangible, la règle de droit.
Mais au-delà de cette incompatibilité de nature, aborder les rapports entre éthique et droit revient à poser la question de la finalité de la démarche éthique dans l’organisation de la société : que vaut la réflexion éthique, au-delà du débat qu’elle permet ? Ne doit-elle pas trouver une forme d’aboutissement, en étant « traduite » au moins partiellement dans les termes de la loi ? Le droit représente en effet un moyen sûr de garantir le respect d’un certain nombre de valeurs fondamentales que l’éthique met en avant.
Le rapport entre éthique et droit repose aussi sur une problématique similaire à celle qui met en jeu le légal (ce que la loi établie autorise ou interdit) et le légitime (ce qui doit être fait, y compris au-delà ou contre ce que prévoit la loi établie). On considérera au final que l’éthique remplit par rapport au droit une fonction visant à évaluer la justesse et la justice des règles que le droit énonce. »
» Déontologie, bonnes pratiques, code de conduite : les mirages modernes de l’éthique
Outre un accaparement intellectuel par les questions relevant de la médecine et de la biologie, l’éthique souffre d’une perception erronée qui l’assimile souvent à la déontologie ou aux bonnes pratiques, autant de « faux amis » :
– La déontologie est un ensemble de règles spécifiques à une profession, destinées à en organiser la pratique selon certaines normes, pour le bénéfice des usagers et de la profession elle-même. Sa forme est essentiellement réglementaire (elle s’appuie sur des règles de droit ou de comportement, d’usages professionnels obligatoires) et non interrogative ou réflexive comme l’éthique. Elle n’en comporte pas moins des finalités morales mais celles-ci sont souvent liées à la protection de la profession ;
– La notion de bonnes pratiques désigne des attitudes ou des comportements, voire des procédures, qui dans un contexte professionnel donné, à un moment donné, font consensus et sont considérées comme efficaces et légitimes. Le terme « bonne pratique » trouve son origine dans la locution anglaise best practice qui, dans les pays anglo-saxons, signale un exemple de procédé ou de conduite qui fonctionne et qui débouche sur une réussite. Les bonnes pratiques deviennent des pratiques de référence (elles ne sont plus des exemples mais des modèles à suivre) qui peuvent être formalisées dans un guide. Elles ne relèvent pas de la réflexion ou du processus éthique mais plutôt de la capitalisation d’un certain pragmatisme.
Il n’est pas rare également qu’au sein de certaines professions, d’entreprises privées ou des services publics, on élabore des codes de conduite ou des chartes d’éthique. Ces documents constituent une déclaration explicite des valeurs, des principes et des règles de l’organisation concernée, fournissant un guide et régulant la conduite de ses membres. Ils ont une utilité à vocation à la fois interne (mobiliser les membres autour de valeurs communes qui façonnent une culture de l’organisation) et externe (montrer que l’organisation ou la profession intègre des valeurs et des principes qui sont également le reflet des préoccupations des usagers ou clients, permettant ainsi une identification et définissant une « image de marque »).
Code de déontologie, bonnes pratiques, charte d’éthique sont autant d’exemples de l’idée que le grand public se fait de nos jours, en toute bonne foi, de l’éthique. Pourtant, ces initiatives sont fort éloignées de la démarche éthique ; elles ne constituent qu’un ensemble de principes ou d’expériences adoptés pour fournir à un groupe, une organisation ou une profession des règles de conduite. Au-delà, elles sont la manifestation des deux dangers principaux qui menacent aujourd’hui l’éthique : l’atomisation de la démarche éthique à travers l’élaboration d’éthiques sectorielles ou professionnelles et la construction d’éthiques endogènes, « bricolées » par différents acteurs en fonction de leurs besoins, affranchies des principes philosophiques fondamentaux de la démarche éthique. » Lire l’intégralité du rapport parlementaire.
Quelques exemples de grands thèmes qui peuvent soulever des questions éthiques
Suicide et réanimation
Place de l’hospitalisation sous contrainte dans la crise suicidaire
Refus de traitement et autonomie de la personne
Euthanasie, suicide assisté, mort volontaire
Exemple d’un Schéma de prise de décision éthique
Pré-requis
-
Être dans une attitude d’écoute face à la personne.
-
Aller jusqu’au bout de ce qui est possible pour l’informer et lui donner toute la place qu’elle peut prendre dans la participation à la décision la concernant.
-
Détenir une compétence pour pouvoir comprendre et analyser la situation.
Analyser la situation
Dans la mesure où cela est possible, associer la personne concernée aux diverses étapes de cette analyse.
1. Déterminer le problème
-
Qu’est-ce qui fait problème dans cette situation ?
-
Où se situe la question éthique ici ?
-
Formuler le problème éthique posé par cette situation.
-
Le situer : par rapport :
– aux objectifs de la profession
– aux valeurs en jeu
– aux dangers possibles. -
Identifier les contradictions entre ces éléments.
2. Identifier les hypothèses de solution
-
Recenser toutes les attitudes possibles face à la situation.
-
Pour chacune, en montrer les implications et les conséquences.
3. Évaluer les différentes possibilités
- Repérer pour chacune, les systèmes de valeurs en présence :
a) En les confrontant aux références générales
. référence aux droits de l’homme (du malade – de la personne handicapée, etc…)
. référence aux principes moraux
b) En les confrontant aux valeurs particulières
. valeurs de la personne concernée et/ou des responsables (exemple : la famille)
. valeurs de l’éthique professionnelle
. valeurs du milieu social
. valeurs personnelles du professionnel
Décider
Dans la mesure du possible, associer la personne concernée aux diverses étapes de la décision.
1. Déterminer notre zone de pouvoir de décision
-
Préciser la responsabilité que peut assumer la personne concernée
-
Préciser notre zone de responsabilité
-
Y-a-t-il d’autres personnes responsables de cette décision ? qui ?
-
Comment élaborer alors une décision concertée ?
2. Choisir
- L’intervention la plus bénéfique :
a) pour la personne
b) pour l’environnement - Argumenter le choix
3. Convertir la décision en action
- Comment la personne concernée va-t-elle se l’approprier ?
- Comment l’accompagner ?
- Quels moyens vont être mis en œuvre ?
- Avec qui ?